vendredi 26 janvier 2007

Ce qu’est la monarchie

PROGRAMME SOCIAL ET POLITIQUE
par
Dom Jean Martial Besse *


Toute nation est un corps social organisé. Il est soumis à des lois qui assurent la conservation de ses énergies et leur fonctionnement dans l'harmonie et la paix. La science politique a pour objet la recherche et la connaissance de ces lois ; l'art politique consiste à les appliquer à l'organisation d'un État déterminé.
La science politique s'acquiert par la méthode d'observation. Il y a deux sortes d'observations nécessaires : les unes se font dans des nations diverses et permettent de découvrir les lois générales, qui se trouvent partout ; les autres se font dans une nation déterminée. Ce sera la France pour nous.
Comme la nation est une unité sociale qui se prolonge dans le temps, l'observateur doit embrasser l'ensemble de son existence. Le passé éclaire le présent. La connaissance de l'un et de l'autre permet d'entrevoir l'avenir possible et. par conséquent, de le préparer.
Pour arriver à des conclusions certaines, il faut classer d'après leur nature les phénomènes observés. Les lois politiques et sociales découlent de ces conclusions. Quelques unes régissent les rapports que les groupes sociaux ont avec leurs membres et entre eux. L'application s'en fait dans les institutions sociales. L'ensemble de ces institutions forme nécessairement un tout coordonné. La constitution politique assure l'unité, la durée et la force de cet ensemble.
Bien que de nature diverse, les institutions sociales d'un Etat font corps entre elles et avec la constitution politique. La distinction, que l'on établit entre elles pour les mieux étudier, ne doit jamais aboutir à un isolement. Une séparation complète, même dans l'ordre intellectuel, équivaudrait à une amputation. Un membre séparé du corps auquel il appartient a perdu le meilleur de sa réalité, la vie. On ne comprend une institution, que si elle occupe sa place et remplit sa fonction dans le corps politique dont elle fait partie intégrante. Ce qui suppose la connaissance de ce corps politique.
En d'autres termes, l'étude des institutions sociales et de leur fonctionnement dans un État déterminé ne peut aller sans l'étude de sa constitution politique. Tout se tient dans la société. Le lien qui assure l'unité de ce tout est fait par la vie. Ce qu'on lui arrache cesse d'être une réalité vivante. Or tout doit vivre dans l'étude d'une société comme dans la société elle même.
Les institutions sociales et la constitution politique d'un État doivent correspondre exactement à ce qu'est dans la réalité le fonctionnement économique des éléments vivants dont il se compose. Leur formule doit être pour l'intelligence un miroir où se reflète cette même réalité.

Structure du Corps social


La Nation


La Nation a deux éléments constitutifs :

La Famille, qui lui fournit ses citoyens, et l'Atelier, qui assure leur existence. Nous avons entre, l'une et l'autre la Propriété, fruit du travail, qui garantit le présent et la durée de la Famille.

La Commune est le groupement géographique et ethnographique des Familles en un lieu déterminé. Les Ateliers se forment sur le territoire d'une ou plusieurs Communes en Corps d'état. Les Communes entrent dans un groupement géographique et ethnographique plus étendu, qui est la Province. Les Provinces entrent dans la Cité ou État. L'État aboutit au Souverain, qui est le couronnement de l'édifice social et le moyen nécessaire de son unité.
Voilà la structure naturelle du Corps social.

La Famille


La Famille est au corps social ce que la cellule est au corps vivant, son premier élément constitutif. De sa santé physique et morale dépendent la paix et le bien être de la Cité. Elle est une société perpétuelle, composée des père et mère, des enfants et du foyer qui les abrite.
Le lien conjugal, qui en consacre l'origine, est indissoluble. La fidélité aux prescriptions de la morale chrétienne est sa sauvegarde.
Elle est la base du système représentatif. Son représentant naturel est son chef, c'est à dire le père ou, à son défaut, la mère.
L'éducation des enfants appartient de droit au chef de la Famille. Il se décharge de leur instruction sur les maîtres de son choix, en gardant le droit de contrôler leur enseignement.
Le foyer, comme la Famille dont il est un élément constitutif, a besoin de stabilité et de sécurité '. Le travail de son chef et de ses membres lui assure ce double avantage, avec le concours des institutions sociales.
La Famille, telle qu'elle vient d'être décrite, a droit à la protection de la Commune et de la Corporation.


L'Atelier


Dieu impose à l'homme l'obligation de travailler. L'homme pourvoit à sa propre subsistance et à celle de sa famille, en se conformant à cette loi. C'est par les fruits de son travail qu'il assure la stabilité de son foyer. C'est par son travail que l'homme est pratiquement lié à la société et qu'il participe à sa vie. Dans ce sens, tout travail est une fonction sociale, un service qui a sa rémunération dans un juste salaire.

L'Atelier est le lieu où l'homme accomplit son travail. A la campagne, l'atelier agricole et l'atelier de métier ont généralement un caractère familial; ils sont abrites par le même toit que le foyer. S'il perd ce caractère dans les agglomérations, ses liens avec la Famille ne sont pas rompus, puisque la Famille subsiste du labeur, dont il est le théâtre, et ses réserves d'avenir dépendent de sa prospérité.
Les gens qui exercent la même profession à un titre quelconque dans un lieu déterminé, constituent de fait un Corps d'état. Le Corps d'état est la base de l'organisation professionnelle.
L'organisation coopérative du travail assure la perpétuité de l'Atelier, la sécurité et la stabilité des conditions ; elle est favorable au règne de la paix et à la prospérité générale ; elle est nécessaire au plein exercice des devoirs réciproques du patron et de l'ouvrier.
L'organisation corporative se réalise au moyen des Syndicats et des Corporations.
Les ouvriers exerçant le même métier dans un ou plusieurs ateliers ont la liberté de former une association, chargée de la défense de leurs intérêts professionnels : c'est le Syndicat. Les patrons jouissent de la même liberté.
Les droits propres de l'ouvrier sont garantis par les statuts de l'association professionnelle.
Les Syndicats d'ouvriers et les Syndicats de patrons d'un même métier peuvent se constituer en Corporation ; ils y sont représentés par leurs délégués. Si les patrons ne sont pas assez nombreux pour se former en Syndicat, ils entrent personnellement dans la Corporation. La Corporation est chargée des intérêts de l'atelier, c'est à dire des intérêts professionnels communs aux ouvriers et aux patrons.
La Corporation peut constituer, en raison de la prospérité de l'industrie, un patrimoine corporatif indivisible et inaliénable; délivrer un brevet de capacité professionnelle aux agents de la production, ingénieurs et ouvriers; trancher les conflits relatifs au droit de travail; organiser et contrôler l'enseignement professionnel ; assister les membres en cas de maladie, d'accident, de chômage; assurer les retraites ouvrières et pourvoir aux nécessités diverses qui peuvent surgir.
La Corporation est dirigée par le conseil corporatif, composé , des délégués des syndicats. Les coutumes qui s'établiront par l'expérience au sein des Corporations fourniront avec le temps les éléments d'un code du travail.

La Commune, le Canton, l’Arrondissement

Les Familles et les Ateliers d'un lieu déterminé forment la Commune. La Commune est administrée par un conseil, élu par les chefs de Famille. Ce conseil suffit, à tous les besoins des communes rurales. Dans les centres populeux... on adjoindra au conseil communal les délégués des Corporations.
La Commune peut posséder les édifices nécessaires aux divers services publics : administration communale, enseignement, assistance, etc., et se constituer une propriété dont les revenus seront affectés à ces mêmes services. Ces biens seront administrés soit par le conseil communal, soit par des conseils spéciaux, d'après le droit propre à chaque institution.
Les Communes sont groupées en cantons ou arrondissements, correspondant aux anciens “pays, pagi ”. Ces groupements, motivés par les nécessités de l'administration publique, faciliteront dans les campagnes l'organisation corporative et la fondation des établissements destinés à l'enseignement et à l'assistance.

La Province

La France est constituée par la réunion de ses Provinces. [de nos jours, par un regroupement administratif et par trop souvent illusoire : de ses Régions]
La Province se compose des Communes et des Corps professionnels existant sur son territoire. Elle fournit son premier cadre à la représentation des droits et des intérêts.
La Province est administrée, conformément aux lois de l'État et à son droit particulier ou coutume, par un Gouverneur, assisté d'un Conseil provincial permanent et des États de la province, convoqués à des époques déterminées.
Les États de la Province sont formés par la réunion des Chambres provinciales. On a dans ces Chambres la représentation provinciale des droits et des intérêts. Elles correspondent aux grands Corps professionnels et elles sont composées de leurs délégués. Ce sont : la Chambre des professions agricoles, la Chambre des professions industrielles et commerciales, la Chambre des professions libérales.
Le Conseil permanent est fourni par les États (la province). Le Gouverneur est choisi par le Souverain dans ces mêmes États.
Les Chambres administrent les intérêts de la Province.

Le Roi

L'ensemble des Provinces constitue la Nation. Elle est gouvernée par le Roi, assisté de ses Conseils et Cours souveraines: Conseil de gouvernement, Conseil d'État Haute Cour de justice et Cour des comptes. Le Roi est désigné conformément à la Loi salique. Les membres du Conseil de gouvernement sont directement choisis parle Souverain. Ceux des Cours souveraines sont choisis par lui sur la présentation de chaque Cour.
Le Roi recourt au Conseil de gouvernement pour éclairer ses décisions.
Le Roi est chef de l'Armée. Les relations extérieures ne relèvent que de lui et les ambassadeurs parlent et agissent en son nom. Le pouvoir législatif lui appartient ; il l'exerce en son Conseil d'État, chargé de préparer les lois conformément aux cahiers des États généraux, avant de les soumettre au consentement de ces mêmes États Ce Conseil promulgue les règlements nécessaires à l'application de ces lois, quand elles sont consenties, et juge des incidents contentieux, qui naissent de cette application.
Le Roi exerce le pouvoir administratif par ses ministres.
La charge de la Justice fait partie intégrante de la souveraineté ; le Roi l'exerce dans sa Haute Cour de Justice, à laquelle reviennent les appels au Roi et les cas qui intéressent les lois fondamentales du royaume. La Cour des comptes prépare les budgets ordinaires et contrôle l'emploi des deniers publics
Le Peuple est représenté auprès du Souverain par les États généraux, chargés de lui présenter ses désirs et ses besoins et de consentir les lois nouvelles. Les États généraux sont une émanation des États de la Province. Les impôts extraordinaires sont consentis par les délégués des contribuables.

L’Église

L’Église catholique a la pleine liberté de s'établir, de s'administrer et de se gouverner conformément à son droit. Le Pape notifie au Roi la nomination des évêques ; et les évêques, aux gouverneurs celle des curés.

L’Église peut posséder les édifices nécessaires à l'exercice du culte, aux besoins de son clergé et des couvres dont il s'occupe, ainsi que les ressources nécessaires au culte et à l'entretien de ses ministres. Les communes et les provinces ont la liberté de contribuer aux frais du culte et de l'entretien du clergé. Les Familles et les Corporations peuvent leur confier la direction des établissements d'instruction et d'assistance qu'elles fondent.


L'Armée

L'Armée est une armée de métier, dont l'importance sera déterminée par le Souverain, en raison des nécessités de la défense nationale.


La Justice

La Justice est administrée au nom du Roi dans les justices de paix, les tribunaux d'arrondissement, les Cours provinciales et la Cour de cassation. Les magistrats sont institués par le Souverain sur la présentation des Cours.


L'Enseignement

L'Enseignement de culture générale est à la charge des Familles et l'Enseignement professionnel à la charge des Corporations et des Corps professionnels. Les Familles, les Corps professionnels peuvent fonder des établissements d'instruction et des écoles pratiques dans la commune, le canton, l'arrondissement, la province. Ces établissements se rattachent à une Faculté d'enseignement supérieur correspondant qui a son siège au chef lieu de la Province. La réunion de ces Facultés forme l'Université provinciale. L'Université, les Facultés et tous les établissements d'instruction peuvent posséder leurs immeubles et des biens, dont le revenu sera affecté à la rémunération des maîtres, à la création de bourses pour les élèves et à ce qui paraîtra de nature à favoriser le progrès des études. Les maîtres auront besoin d'un brevet de capacité professionnelle, qui leur sera délivré par la Faculté correspondant à leur enseignement. L'Enseignement sera sous le contrôle d'inspecteurs délégués par l'Université provinciale et la surveillance d'un conseil choisi par les Familles intéressées ou par les Corporations.

La Presse

La Presse remplit une fonction sociale et politique. On ne peut l'abandonner aux premiers venus. Elle est soumise au régime corporatif. Ses membres devront fournir les garanties nécessaires d'honorabilité et de capacité professionnelles. Les délits commis par eux dans l'exercice de leur fonction relèveront du droit commun et la peine sera proportionnée au tirage du périodique dans lequel ils les auront commis.

* Né en Corrèze le 29 octobre 1861 dans un milieu modeste, Dom Jean-Martial Besse fut un brillant élève du séminaire de Servières, il entra en 1881 à Solesmes, dans une communauté disséminée parmi les maisons du bourg, et fit profession le 11 juillet 1883… Après des études de théologie écourtées par une mauvaise santé, il fut envoyé en 1885 à Ligugé, ordonné prêtre le 19 juin 1887, nommé l'année précédente zélateur (sous-maître) du noviciat, puis maître des novices en 1890 puis sous-prieur pour enfin devenir Supérieur de Ligugé en 1893. Fondateur de la Revue Mabillon, contemporaine de la loi de Séparation des Églises et de l'Etat, n'a cessé tout au long d'une vie très active de mener de front un combat historique et érudit au service de la restauration et de la reconnaissance des traditions historiques les plus anciennes de la France monastique et une propagande militante en faveur d'une restauration de la France monarchique. Selon le témoignage de Jean de Fabrègues, il fut "l'un des hommes qui feront le plus pour l'implantation de l'Action française dans le monde catholique". Les articles qu'il y donne sous le pseudonyme de Jehan, comme son enseignement dans la chaire du Syllabus, chaire de politique chrétienne créée par l'Institut d'Action française, s'expliquent par sa certitude que la lutte politique est le chemin nécessaire pour obtenir la restauration de la France chrétienne. Quels que soient les obstacles et les difficultés, toute sa vie est commandée par ce but où religion et patriotisme s'unissent : œuvrer au retour d'une France chrétienne. Il mourut à Namur le 26 juillet 1920, âgé seulement de 59 ans.


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