mardi 27 février 2007

Le fantôme de l’Ile d’Yeu.

Chômage, délocalisations et fermetures d’usines, mondialisation de l’économie, violences à l’école, insécurité dans les cités, délinquance des mineurs et démission des parents, immigration clandestine, fuite des élites, défense militaire, transfert de la souveraineté nationale. On ne parle plus que de cela dans les dîners électoraux. Un étrange consensus des élus et de la masse émerge de la crise. Chacun a ces trois mots en tête comme la clé d’une véritable révolution. Tout le monde y pense avec insistance et voudrait les entendre prononcer par le plus courageux des candidats. Mais une autocensure gênée plombe la parole du peuple comme de ses représentants, tant leur évocation raturerait soixante
années de politique française : “travail, famille, patrie”.

C’est, sans conteste, Ségolène Royal qui fait entendre les accents pétainistes les plus symboliques.


Jugeons-en :


« J’entends ces appels. Je ferai tout pour en être à la hauteur. Je mesure l’honneur qui m’est fait. Je n’en tire aucune gloire personnelle. Seule, je ne peux rien ... Avec simplicité. Avec gravité aussi ... Oui, j'accepte d'assumer cette mission de conquête pour la France et les épreuves qui vont avec, dont je veux protéger ma famille ... Accomplir le changement profond espéré, incarner la nation, telle est la tâche qui nous attend » (Discours de lancement de campagne, Vitrolles, 29/09/2006)


A comparer avec :


« Français ! A l'appel de M. le président de la République , j'assume à partir d'aujourd'hui la direction du gouvernement de la France ... Sûr de la confiance du peuple tout entier, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur ... Que tous les Français se groupent autour du gouvernement que je préside pendant ces dures épreuves et fassent taire leur angoisse pour n'écouter que leur foi dans le destin de la patrie » (Message radiodiffusé du 17/06/1940)
Ou encore :


« C’est parce que nous avons le courage de regarder la réalité en face que je crois, moi, la gauche plus capable que la droite d’assurer la sécurité des biens et des personnes tout en offrant aux jeunes qui dérapent autre chose que la prison pour les recadrer. C’est l’ordre juste et la sécurité durable » (Discours de lancement de campagne, Vitrolles, 29/09/2006)
Avec :
« Article premier. La liberté et la dignité de la personne humaine sont des valeurs suprêmes et des biens intangibles. Leur sauvegarde exige de l'État l'ordre et la justice, et des citoyens la discipline » (projet de constitution du Mal Pétain, 1943)


Ce rapprochement permet de rappeler incidemment que Pétain fut, dans l’intimité, un esprit laïc plutôt de gauche (tout comme Chirac, exactement à l’inverse de Mitterrand qui fut mystique et … “pétainiste” !).


Saint Thomas eut-il quelque chose à ajouter ? Dans la société antique et médiévale, on distinguait entre les communautés naturelles, héritées à la naissance – la famille d’un côté, et de l’autre la cité ou le royaume – et toutes sortes de collectivités conventionnelles – professionnelles, culturelles, militaires ou autres – fondées par la liberté humaine. Famille et travail étaient confondus en une même sphère économique (oïkos = maison), instance intermédiaire entre l’individu et le pouvoir politique.


Thomas d’Aquin serait surpris d’entendre le bruit fait aujourd’hui autour du travail, ponctué d’un silence total sur la famille, lui pour qui le succès du premier dépend étroitement de l’épanouissement de la seconde. La vie domestique est tout autant le berceau où s’acquiert les valeurs adultes, que la raison suffisante pour s’acharner à gagner sa vie correctement. Il serait très étonné de voir combien nous nous efforçons de palier les maux engendrés par le délitement programmé du droit conjugal, avec des artifices comme transformer nos écoles en orphelinats de jour, abritant l’enfant toute l’année de 7h à 19h, dès l’âge de deux ans. Ou confier aux maîtres, voire aux militaires, la responsabilité de l’éducation humaine des jeunes, naturellement dévolue aux parents. Ainsi, l’enseignement de la morale, honni dans un passé encore récent, n’est jamais aussi présent sur les bancs de l’école : vie en société, sexualité, violence et respect, tabac, etc. Ou encore interdire le regroupement familial aux immigrés présents sur notre sol, quand on sait combien le sens de la famille est la valeur structurante de tant de peuples pauvres. Ou bien rendre les mineurs pénalement responsables, puisque la collectivité se montre finalement impuissante à les éduquer. Ou enfin, autoriser l’adoption par des homosexuels, au mépris insultant de couples normaux en souffrance, à qui on exige de longues années d’épreuves et de tests avant de dénier leur confier un enfant abandonné. Toutes ces jambes de bois continueront de porter leur stérilité dans le désarroi. Solidarité, respect d’autrui, sens du partage, sont au cœur de l’ordre familial naturel ; seule cette communauté du sang pourra en enrichir la société. Il est vrai que la plupart de nos dirigeants entretiennent personnellement une vie sexuelle pour le moins élastique et reconnaître cette priorité serait pour eux une auto accusation insupportable. Voilà pourquoi tous se taisent et feignent de croire à leurs subterfuges. Autre incompréhension : la soudaine vogue de la laïcité. Saint Thomas fut certainement le premier théoricien de la séparation des pouvoirs religieux et civil. Mais l’idée de vider les affaires temporelles de la présence du divin lui serait insupportable. Dieu n’est pas une option libre. Il peut s’avérer, au gré des circonstances, imprudent de privilégier telle ou telle religion dans une société pluraliste, mais la reconnaissance unanime d’une dette envers la Transcendance précède toute expression de foi particulière. L’existence de Dieu et Sa paternité sur toutes choses sont une certitude rationnelle universelle et non pas le privilège de telle ou telle révélation privée. Autant un agnosticisme conscient de son ignorance et de ses doutes mérite respect, autant l’athéisme militant est, avec ses pompes, un déni de vérité fauteur de désordre social grave. Loin de représenter l’expression d’une neutralité scrupuleuse, il est le fer de lance de l’anti-religion. Une sorte de cléricalisme noir. En appeler à la Providence dans la Constitution et dans les actes politiques n’est pas verser dans une quelconque théocratie, mais pratiquer une laïcité positive, valorisant la dignité spirituelle de la nature humaine. Evoquer Dieu dans les décisions d’Etat, c’est tenter de placer l’exigence au-delà des intérêts partisans et des combinaisons machiavéliques ; c’est essayer de poursuivre le bien commun dans la concorde, au confluent des oppositions légitimes. Mais hélas, les candidats catholiques avoués eux-mêmes, ont décidé de laisser leurs convictions sous le boisseau


Au fond, notre devise serait plutôt : « Dieu, famille, patrie ». Sans doute les temps ne sont-ils pas encore mûrs. Peut-être s’en éloignent-ils avec constance. Pourtant, sous l’eau du miroir, ces valeurs resplendissent dans toutes les détresses que nos civilisations cultivent avec secret. Admettons donc que dans la situation actuelle, “travail, école, nation” soit le triptyque le plus symbolique des discours actuels et constitue tout de même un progrès. Mais quels que soient les résultats des prochaines élections, il y a tout lieu de penser que l’ombre du Maréchal et de sa Révolution nationale hanteront les ors de l’Elysée.


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